Phil Garnham sur les tendances créatives et l’engouement pour la nostalgie.
Phil Garnham, Directeur de la création typographique, chez Monotype.
Phil Garnham, directeur de la création typographique, s’est entretenu avec Creative Bloom pour réfléchir aux tendances typographiques de cette année et à l’influence de la typographie dans le design contemporain – avec une plongée en profondeur dans la puissance de la nostalgie.
Pour faire simple, la fonderie constate que « ce qui émerge, c’est une sorte de lutte entre notre mode de vie qui se numérise à toute vitesse et un désir tout aussi fort de quelque chose de tangible ». Cela se joue d’une part à travers les polices de caractères qui repoussent les limites, utilisent la technologie de pointe pour s’aligner et faire avancer les dispositifs et les plateformes modernes. D’autre part, par « un retour aux formes typographiques familières et confortables des décennies passées », comme le dit Monotype, « motivé par un désir de connexion authentique dans un monde que nous vivons de plus en plus à travers les écrans ».
Le rapport sur les tendances typographiques est divisé en plusieurs thèmes clés, que Monotype observe ou prédit comme étant à la hausse en ce qui concerne les approches et l’esthétique de la typographie dans l’année en cours et celles à venir. Parmi les thèmes déjà évoqués, on trouve : Vitesse variable, Typographie sensible, Virtuel et réel ne font qu’un, Cultiver le contraste et Fait main. Ce dernier thème concerne la tendance des lettrages dessinés à la main et des textures bois – « des polices qui évoquent la nostalgie d’une balade entre les étals du marché à l’heure du déjeuner, les ardoises des brasseries et les petits commerces de quartier, rappels d’une expérience humaine à laquelle nous aspirons, après tant de temps passé reclus dans nos foyers. » Monotype ajoute que « dans un monde entièrement devenu numérique, il n’est pas surprenant que l’on recherche de nouveau une dimension chaleureuse, familière et humaine. »
De toute évidence, la nostalgie est un élément clé de cette tendance actuelle – l’idée d’humanité et de confort racontée à travers les formes de lettres. Nous nous sommes entretenus avec Phil Garnham, directeur de la création typographique senior chez Monotype, au sujet de la nostalgie dans la typographie : pourquoi c’est actuellement si populaire, quelles sont les marques qui en profitent et comment définir une police « rétro ».
Il y a beaucoup de nostalgie dans l’air. Pourquoi, selon vous ?
Nous vivons une période très intéressante pour les créatifs. Zoom a fragmenté les journées de travail dans des créneaux de plus en plus concentrés. L’aspect « pratique » de la création est privilégié et il y a moins d’interactions sociales au sein des équipes de création. Notre vie à la maison et au travail est également à cheval sur cette limite actif/inactif, repos/travail. Le confort se heurte aux délais. Est-ce que cela pourrait conduire à une mentalité de repli sur soi ? Je ne sais pas vraiment, mais les tendances typographiques dans le branding semblent un peu circulaires en ce moment.
Nous disposons d’un patrimoine typographique tellement riche qu’il a toujours été source de nouvelles interprétations, de remodelage et de refonte. Pourtant, on sent bien que les marques envisagent la typographie sous une forme finalement plus nostalgique. Il pourrait aussi s’agir d’un recul par rapport à l’esthétique géométrique des caractères « numériques » ayant dominé pendant près de deux décennies.
Phil Garnham, Rapport Type Trends.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples récents de campagnes ou d’identité de marque ?
L’exemple le plus marquant est évidemment le rebranding de Burger King, par JKR, qui a cette esthétique « soft-serve ». Mais beaucoup d’autres s’orientent dans cette direction… Fisher-Price, Mailchimp, Dunkin et Tentree poursuivent également cette tendance vers les serifs moelleux des années 1920. Dans les secteurs technologiques créatifs, avec des marques comme Twitch, Tweag et Dreamhack, nous voyons davantage de minimalisme 8 bits des années 1980, avec des polices dans la veine de Blockheads. Cette tendance typographique, que nous avons nommée Brute de fonderie, rappelle l’époque de ZX Sinclair et Atari. Les marques commencent maintenant à exploiter les avantages créatifs et pratiques de la technologie des polices variables. Cela mène à des polices qui rappellent la typographie en bois d’avant-garde, où des caractères d’imprimerie aux épaisseurs mixtes étaient assemblés puis encrés. Le travail de Paula Scher pour le Public Theatre de New York dans les années 90 a également relancé cette tendance.
Quelles typographies voyez-vous, encore et encore, qui suivent ce thème ?
Notre récent rapport sur les tendances typographiques s’est penché sur ce que les agences font avec actuellement avec la typographie dans toutes sortes de secteurs verticaux et géographiques. Avant ce rapport, nous avions le sentiment que les choses évoluaient, mais nous ne savions pas vraiment dans quelle mesure. Notre rapport souligne qu’aujourd’hui, les marques recherchent plus que jamais la distinction et l’authenticité dans leur ton de voix. Dans les périodes où le monde est soumis à des confinements, l’exposition des marques est limitée aux dispositifs rectangulaires. Ces modèles et ces thèmes familiers sont donc adoptés par beaucoup de marques.
Dans le numérique, l’écriture est d’abord synonyme de lecture informelle. Les polices jouent donc un rôle majeur dans la transmission du ton de la marque et la création d’une mémorisation subliminale. Les marques savent qu’elles doivent faire preuve d’audace pour se démarquer. Notre rapport sur les tendances souligne à quel point elles s’efforcent de créer un profil typographique plus distinctif et, ce faisant, à imprégner ce sentiment de nostalgie. Peut-être que ce sentiment de nostalgie n’est dû qu’à un contexte. Nous avons habitué nos esprits à considérer les polices Sans géométriques comme « numériques ». Mais nous ne sommes pas conditionnés à associer des serifs soft-serve des années 1920 au « numérique ». Cela peut donner la sensation d’un décalage. Et c’est probablement là que réside l’impact.
Constatez-vous une recrudescence de familles nostalgiques chez Monotype ?
La typographie stimule la culture et la culture stimule la typographie. En 2020, nous avions lancé FS Rosa, une nouvelle version de ce que nous avions prévu comme une tendance émergente. Et elle est assurément de plus en plus populaire. En tant que studio de création, nous avons travaillé avec des marques qui s’orientent davantage dans cette direction, faisant revivre leur patrimoine sous une nouvelle forme. C’est une période passionnante pour jouer avec les caractères et défier les notions de ce qui est acceptable pour certaines grandes marques. Nous voulons également créer les polices que les designers demandent et dont les marques ont besoin pour être performantes sur tous les fronts. Je m’attends donc à plus de travail créatif de style rétro au cours des deux prochaines années.
Comment pensez-vous que les consommateurs et les utilisateurs vont réagir à cette tendance du design ?
La nostalgie pure n’est pas vraiment une tendance qui pousse au changement. Elle est un vecteur d’empathie dans un monde qui recherche la familiarité et le réconfort dans les moments difficiles. Voilà son rôle. Si nous nous préparons avec optimisme à changer de cap, à sortir de l’étau, ce sentiment de familiarité aidera à nous stabiliser, à nous rassurer et à poser la base d’une confiance pour aller de l’avant. Je pense aussi que la plupart d’entre nous aiment les thèmes rétro. Il y a une forme de légèreté et d’insouciance dans cette nouvelle approche du design, et c’est ce dont le monde a besoin en ce moment.
Comment définir une police rétro ?
Selon moi, c’est une forme classique, d’une époque révolue, enveloppée des connotations d’une esthétique culturelle et des valeurs d’une période. Ces lettres familières vous parlent sur un plan émotionnel et vous disent : « Tu te souviens de cette époque ? » À mesure que la tendance se développe, je suis vraiment curieux de voir comment nous pouvons réinventer leur place aujourd’hui, qu’il s’agisse du fait de moderniser, réinterpréter les lettres elles-mêmes ou bien de notre manière de les utiliser.